L'ENFANT QUI PLEURE
1/ Nous savons que... Nous avons tous conscience que notre vision du monde est liée à la manière dont nous l’avons découvert. Avons-nous marché dans les traces de nos parents ? Avons-nous plutôt été livrés à nous-mêmes ? Avons-nous appris à faire confiance ou à nous méfier des autres ? Croyons au hasard, à la chance ou avons-nous besoin de tout prévoir et de tout expliquer ?
Nous appréhendons le monde selon une méthode qui nous est propre, acquise au fil de notre enfance, de notre adolescence et ainsi de suite. Pourtant, chacun à notre manière, nous tous en recherche d’identification : nous cherchons quelqu’un. Inconsciemment, derrière chaque question que nous nous posons, nous cherchons quelqu’un qui nous regarde, quelqu’un qui nous écoute, qui nous conseille, qui nous sourit, qui nous indique ce qu’il faut faire. Et, cette personne n’existe pas, alors nous l’inventons. Pourquoi ? parce que nous avons tous découvert le monde au travers des yeux de quelqu’un d’autre et que nous aimerions que cela continue toujours ainsi. Nous savons qu’il n’existe que deux catégories de personnes : celles qui ont été guidées et celles qui auraient aimé l’être. Ainsi, même si nous savons qu’il est souvent plus profitable de nous débrouiller seuls, nous sommes sans cesse à la recherche des autres et, si les autres ne nous conviennent pas, nous les remplaçons par nos propres projections : d’une manière plus ou moins précise, nous attribuons des noms, des mots, des visages aux personnes dont nous avons besoin pour nous rassurer. Nous faisons tous cela (cela s’appelle une religion et nous avons chacun la nôtre).
Le sens de notre vie peut-il donc se résumer au jugement de « quelqu’un d’autre » : qui pense celui ou celle qui nous regarde ? comment peut-on obtenir sa bienveillance ou son pardon ? comment sommes-nous jugés jour après jour ? Une de nos principales angoisses vient aussi du fait que nous n’arrivons pas toujours clairement à identifier cette personne en qui nous croyons. Nous l’imaginons inconsciemment près de nous sans que notre raison veuille admettre son existence.
Nous savons aussi que le principal problème d’une religion est qu’elle réduit le plus souvent nos vies à l’image d’une salle d’attente : nous patientons sur Terre en attendant que quelqu’un tout-puissant veuille bien nous ouvrir la porte et nous accueillir... Oui, il nous arrive aussi de vivre des choses passionnantes dans les murs d’une salle d’attente mais nous avons toujours du mal à ne pas regarder l’heure toutes les cinq ou dix minutes.
Nous trompons notre ennui en nous demandant à quoi peut ressembler la personne qui est derrière la porte, ce qu’elle peut bien faire pendant que nous attendons, les premières mots qu’elle aura à notre encontre... Nous observe-t-elle en ce moment ? Nous écoute-t-elle ? Qu’attend-elle de nous alors que nous attendons pour elle ? Et puis nous peuplons notre patience de regards et de conversations car nous ne sommes pas seuls dans la salle d’attente : nous pouvons discuter du bien, du mal, du vrai, du faux, de l’évidence, de l’absurde, du ridicule... Nous n’attendons pas tous la même personne mais, toutes les cinq ou dix minutes, nous essayons de mettre nos montres à l’heure exacte.