La Légende du miroir magique...
Il y a bien longtemps de cela, un jeune paysan prénommé Martin se rendit dans sa remise à la recherche d’un meuble – inutile mais pas trop vieux – qu’il pourrait démonter et dont il pourrait récupérer les planches afin de construire un berceau. Sa femme attendait leur premier enfant.
Il ouvrit la porte grinçante, la bloqua à l’aide d’une pierre et pénétra à tâtons dans la pénombre et la poussière. Il reconnut d’abord quelques objets de son enfance et puis, rapidement, il butta sur des vieilleries qui ne lui disaient plus rien : des meubles plus vieux que lui, des coffres déposés là par de vagues cousins qui n’étaient jamais revenus les chercher... Tant de gens étaient morts autour de lui ces dernières années. Les hivers avaient été terribles, le choléra était revenu presque chaque été : à qui ces bouts de bois pourraient-ils encore servir ?
Touchant presque au fond de la remise, il ne voyait presque plus rien et ses doigts faisaient mal la différence entre les croûtes de poussière séchée et le bois pourrissant. Au milieu de quoi était-il arrivé ? Quelques points de lumière passaient à travers les planches des murs en pente et son regard fut attiré par un léger scintillement sur le côté. Intrigué, Martin essaya de trouver l’origine de cette luminosité et sa main rencontra une sorte de surface lisse, glissante sous l’épaisseur de la poussière et des toiles d’araignée. Il essuya grossièrement l’objet mais il ne parvint pas à en distinguer les contours. Il hésita à ressortir pour aller chercher de la lumière mais l’idée de revenir avec une flamme au milieu de ce fourbi de bois sec lui quitta rapidement l’esprit : son père lui avait tant de fois interdit de le faire quand il était enfant.
Il essaya alors d’écarter légèrement deux planches du plafond afin de faire entrer un peu plus de soleil... Jet de poussière, craquement de bois et un rayon de lumière tomba brutalement vers le sol. Martin s’essuya les mains, se retourna et... se trouva face à face avec le visage de son père ! « Ça alors, mais c’est lui ! J’en suis sûr c’est... Papa ! C’est moi, tu me reconnais ? C’est Martin, tu... »
Comment imaginer l’émotion que ressentit le jeune homme ? Son père qui était mort il y a deux ans de cela... Emporté par le choléra comme... comme sa mère et presque toute sa famille. Il était là, à le regarder, dans ce cercle de lumière. Et, en plus, ce n’était pas le visage vieilli et fatigué des dernières années... Non, Martin reconnaissait le visage qu’il avait connu dans son enfance ! Celui de ses plus beaux souvenirs... Un souvenir qui, ce matin-là, dans cette remise, le regardait fixement.
Dans les premiers instants, le père et le fils semblèrent aussi surpris l’un que l’autre de cette rencontre. Puis les traits de leur visage commencèrent doucement à s’assouplir. Sans jamais se quitter des yeux, ils essayèrent ensuite de se sourire, de se parler, de se toucher même. Mais il n’y avait que l’image : Martin parlait en même temps que son père mais il n’entendait pas ce qu’il lui disait. Leurs doigts se touchèrent mais sans sentir autre chose qu’une surface lisse et froide. Dommage mais l’essentiel était là : les yeux, le sourire... la présence !
Martin se sentait... Il resta devant cet étrange portrait jusqu’à ce que sa femme ne l’appelle.
« Martin ? Mais que fais-tu encore là-dedans ? »
Le fermier reboucha vite l’ouverture dans le plafond, il ramassa quelques pièces de bois au hasard autour de lui et ressortit à la lumière du jour.
« Voilà, c’est tout ce que j’ai pu trouver d’intéressant. Je vais voir ce que je peux en faire avec mes outils... Mais il faudra que je retourne mettre de l’ordre là-dedans. Il y a beaucoup trop de choses qui ne serviront plus à rien. »