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L'INSTANT MAGIQUE

1/ Vous dites que... Vous entendez souvent répéter que la vie est une sorte de chemin dont on ne connaît pas vraiment la destination. Alors, bien sûr, vous imaginez votre existence comme une série d’événements linéaire : vous naissez à un moment donné, vous mourez à un autre moment et l’écart entre ces deux repères s’appelle la vie.
Ensuite, vous pensez que, pour estimer la valeur d’une vie, il faut faire des additions et des soustractions. Quelles sont les choses (objets, connaissances...) que vous avez acquises ? Quelles sont celles que vous avez perdues ? Quels sont les défis que vous avez relevés et ceux face auxquels vous avez reculé ? Qu’avez-vous fait et qu’auriez-vous pu faire ? Les bonnes actions, les mauvaises, les amis, les ennemis, les amours... Bref, vous vous dites que toutes les étapes s’accumulent au fil de votre chemin et que cela donne une valeur à votre existence.
Excusez-moi mais il semblerait que vous confondiez quelque peu la vie avec une déclaration de revenus. Vous croyez vraiment que, un jour, au bout de votre « chemin », quelqu’un vous attendra pour peser les bons points et les mauvais points de la vie que vous avez menée ?
Et même vous, de quoi vous souviendrez-vous au moment où vous ferez le véritable bilan de votre passage sur Terre et que plus des trois-quarts de votre « chemin » auront disparu derrière vous ? Avez-vous classé vos souvenirs comme on archive des factures et des bons de commande ?

 Vous savez pourtant que vos souvenirs n’existent que dans votre mémoire et qu’il n’y a rien de moins rationnel que la mémoire. Elle déforme tout : elle embellit ou elle alourdit, elle fixe des petites choses insignifiantes pour effacer des événements essentiels... Et puis elle varie sans cesse, d’un jour à l’autre, sans vous prévenir de ce qu’elle va garder ou faire disparaître. Non, sincèrement, comment pouvez-vous lui faire confiance ? Abandonnez vite cette idée linéaire de « chemin de la vie » car le passé et l’avenir ne sont que des images fugaces incrustées dans votre esprit : nul ne sait ce qui en restera.
Ou alors, si vous tenez vraiment à vous imaginer sur un chemin, considérez que la vie est une voie sur laquelle vous marchez à reculons. Vous essayez de deviner l’avenir qui est dans votre dos tout en vous efforçant de ne pas perdre de vue les traces que vous avez laissées. Si la route est droite, pourquoi pas ? Mais vous savez que ce n’est pas le cas et que, selon les bosses et les virages, certains passages auront rapidement disparu comme s’ils n’avaient jamais existé... A moins que d’autres s’en souviennent à votre place mais, cela, c’est un autre problème.
En tout cas, comprenez bien que la vie n’est pas un chemin dans son ensemble mais l’impression qu’il en reste au fur et à mesure que vous le parcourez. La mémoire...

2/ Vous croyez que... Vous vous dites peut-être que ces détails sur la manière de considérer la vie ne sont pas très importants mais ils sont pourtant la source de bon nombre de nos angoisses. Il ne s’agit pas pour vous d’établir une vérité éternelle mais bien d’avoir une vision cohérente et, si possible, sereine de ce que vous traversez. Et, croyez-moi, les difficultés peuvent être nombreuses. Lesquelles ? Toutes celles liées à la peur du temps qui passe et au saut dans l’inconnu qui vous attend quelque part, un jour ou l’autre.
Vous pensez que la vie est un chemin, une horloge qui tourne, une poignée de sable ou un compte à rebours ? Alors vous vous obligez à considérer chaque seconde comme équivalente à toutes les autres et vous faites sans cesse le deuil de vos instants perdus. Le temps passe, et alors ? Seule votre mémoire en gardera une partie et – même avec des films, des textes ou des photos – il n’y aura pas de place pour tous les souvenirs. Combien de jours disparaîtront comme s’ils n’avaient jamais existé ? Inutile de vous en désespérer : c’est comme cela pour tout le monde.
Alors, posez-vous les bonnes questions (celles qui peuvent avoir une réponse). Si votre vie s’arrêtait aujourd’hui, que vous en resterait-il ? Quels instants défileraient dans vos yeux ? Lesquels auriez-vous oublié ? Lesquels auriez-vous aimé ajouté ? Résumez cela de la manière la plus courte possible (images, émotions...) et imaginez les souvenirs qui vous feraient accepter l’idée de votre existence.

 Imaginez votre vie comme un film de cinéma que vous auriez vu il y a... un certain temps. Que le film vous ait plu ou pas, vous verrez que les souvenirs les plus forts que vous en garderez seront rarement ceux liés au scénario ou à l’intrigue : ce seront des images précises qui auront provoqué en vous une émotion forte et inattendue. Ce seront parfois des images du début ou bien du milieu ou encore de la grande scène finale... c’est sans importance. Qui vous a dit qu’un film se jugeait à la manière dont il se terminait ?
Qu’importe si la fin vous a déçu si, à un moment ou à un autre, vous avez ressenti une émotion qui a gravé en vous quelques secondes d’images (et de musique) qui vous suivront pendant... longtemps. Cette émotion pourra être individuelle ou partagée car, si vous pouvez vous accorder avec d’autres sur les grands moments d’un film, une séquence ne sera peut-être remarquée que par vous. C’est bien cela que vous pourrez considérer comme un instant magique : un instant qui ne disparaîtra pas et justifiera, à lui seul, tout le déroulement du film.
Pour un film comme dans votre vie, ne cherchez pas vainement à en accumuler des dizaines. Peut-être souhaiterez-vous partager ce(s) fameux instant(s) avec le reste du monde mais croyez bien que cela n’est pas indispensable. Visez haut, visez juste mais restez conscient que seule votre mémoire jugera. C’est la vie...

3/ Vous voulez savoir si... Comme tout le monde, vous vous demandez quelle image pourrait bien surgir dans votre esprit, le jour venu, pour faire le bilan votre vie ? S’agirait-il d’un instant de bonheur... d’une victoire, d’une douleur ou d’un regret ? Vous le savez bien, votre mémoire est un fourmillement d’images et d’émotions dont on ne sait jamais ce qui peut remonter : le meilleur comme le pire. Alors, comment pouvez-vous obtenir une certitude ou, tout au moins, un réconfort ?
Eh oui, c’est là toute la justice (ou l’injustice) de ce fameux dernier instant : une vie de souffrances peut-être rachetée par un souvenir heureux alors qu’une vie de succès peut être gâchée par un ultime regret... Comment savoir ? Là-encore, ne pressez pas les choses et posez-vous les bonnes questions. Dites-vous que, quoi que vous pensiez de votre vie, votre esprit en a inconsciemment gardé les meilleurs passages, quitte même à les embellir un peu : c’est un réflexe de survie. Ainsi, les belles séquences existent et il faudra simplement vous préparer à les laisser remonter en vous.

Evidemment, vous souhaiteriez que ces plus belles séquences soient celles de la fin, du dénouement et de l’explication : celles qui donnent un sens à toute l’histoire. Pourtant, souvenez-vous que la fin du film a peu d’importance et que l’instant magique peut jaillir de n’importe quel passage de l’histoire, même le plus anodin...
Un exemple ? Rappelez-vous de ce vieux film italien en noir et blanc dont vous avez oublié le titre et les noms des acteurs : une histoire d’amour toute simple entre un jeune homme et une jeune fille dont les deux familles se détestent. Une histoire bien banale mais, pourtant, souvenez-vous de cette scène inoubliable de la sérénade où le jeune homme chante sous un balcon vide. Toute la famille reste enfermé mais chaque personnage qui écoute semble transfiguré par la mélodie et... Oui, rien que de la décrire, cette scène semble stupide mais l’image et la musique sont restés gravés en vous comme un petit chef-d’œuvre : un instant magique au milieu d’un film dont vous ne connaissez même plus le titre. Alors, qu’importe le reste de l’histoire ?

Alors, oui, faites votre possible pour construire ces instants magiques mais ne cherchez pas désespérément à donner un but à votre histoire. Faites preuve d’indulgence avec vous-mêmes et apprenez, à chaque étape, faire remonter ce que vous avez déjà gardé en vous. A moins que, un jour, tout cela ne s’échappe trop vite car vous savez que parfois... Mais vous feriez peut-être mieux de ne pas trop y penser.

 

 

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