LE BAGAGE
1/ Je pense que... En fait, j’ai toujours eu l’impression (depuis l’âge de 7 ou 8 ans) que j’étais né et que je grandissais avec une sorte de valise à côté de moi.
Cette valise était comme un bagage invisible que j’emmenais partout avec moi et qui se remplissait - au fur et à mesure - des émotions, des souvenirs, des connaissances, des expériences qui me construisaient. Mais j’ai rapidement eu l’intuition que cette valise n’était pas extensible : le temps passait et je ne pouvais pas tout retenir.
Alors j’ai compris qu’un tri se faisait tout naturellement entre ce qui restait, ce qui s’ajoutait, ce qui disparaissait... Et, vers l’âge de 14 ou 15 ans, j’ai commencé à réfléchir au fonctionnement de ce tri sélectif.
J’ai voulu étaler devant moi le contenu de ma valise. Faire le bilan de toutes les choses « essentielles » que l’on avait essayé de m’apprendre et qui n’existait déjà plus. De tout ce que j’avais bien dû ranger quelque part mais je ne savais plus où. Et puis de ces émotions étranges, de ces images stupides ou bizarres qui n’avaient aucun sens particulier mais qui s’étaient pourtant incrustées au plus profond de mon bagage. Au total, tant de choses avaient disparu et, pourtant, tout semblait déborder. Non, je ne pouvais pas tout emporter mais ce qui était placé au fond semblait destiné à m’accompagner pour toujours...
Alors, ce que je pense de la vie ? Vivre, c’est être ici et, mourir, c’est partir ailleurs. Une image ? Eh bien, un jour – n’importe où et n’importe quand – une personne que je n’ai jamais vue mais que je reconnais vient à ma rencontre et me dit simplement : « Dépêchez-vous, c’est l’heure ! Votre train va partir. » Et il me tend un billet sur lequel est inscrit la date et l’heure de mon départ. « Non, vous n’avez pas le temps de passer chez vous ou de dire au-revoir. Prenez juste votre... valise et venez. »
Alors, oui, je vois aujourd’hui chaque individu comme un porteur de valise : il ou elle ne le sait peut-être pas mais il ou elle traverse la vie comme une aventure au bout de laquelle il ou elle ne gardera qu’un simple bagage à main. Un sac en toile, un attaché-case, une valise à roulettes... Quelque chose qu’il ou elle saisira au dernier moment (avec son billet) avant de partir prendre son train vers ailleurs. Pourquoi ? parce qu’il ou elle n’aura pas le choix et moi non plus : l’heure et la date sont imprimées depuis longtemps sur le billet et nous ne pouvons rien y faire.
Moi aussi, parfois, j’ai l’impression que tout dépend de moi mais, au fond, je sais que rien n’est plus implacable que les horaires des trains.