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LE SACRIFICE

1/ Il est évident que... Un jour, chaque être humain cherche à donner un sens global à son existence : il se remémore les principaux épisodes de sa vie avec l’idée d’en faire un ensemble cohérent. Il compose une sorte de mosaïque de ses souvenirs (plus ou moins complète) dont les morceaux assemblés signifieraient... quelque chose. Cette quête de sens est alors porteuse d’émotions extrêmement complexes et qui peuvent mener parfois à la frustration ou à l’angoisse. On cherche, on cherche en étant persuadé que ce que l’on cherche est inscrit dans les contours de notre vie alors que... le sens de la vie dépasse forcément celui d’une vie. N’y a-t-il pas une incohérence dans... Bon, d’accord, on peut essayer d’expliquer cela en prenant un exemple qui explorerait des pistes un peu inhabituelles.
Voilà. Il y a bien longtemps de cela, au Moyen-Age, une jeune fille qui avait déjà connu bien des souffrances fut accusée à tort de sorcellerie et condamnée à mort. Enfermée seule pour sa dernière nuit, elle pria de toutes ses forces pour essayer de comprendre ce qui lui arrivait. Pourquoi tant de douleurs depuis sa naissance ? Et pourquoi cette fin odieuse ? Pourquoi elle et pourquoi cette vie désespérément inutile ?
Pour seule réponse à ses questions, elle finit par s’endormir... et elle se réveilla quelques heures plus tard dans un appartement du XXIème siècle ! Il était 7h15, elle était étudiante et elle était en retard. Sa journée habituelle allait commencer et elle ne gardait qu’une vague impression d’un mauvais rêve qu’elle avait fait durant la nuit.

Le temps suivit alors son cours, les jours, les semaines... La jeune fille poursuivit ses études, décrocha son diplôme et trouva un travail. Elle tomba amoureuse, s’installa dans un appartement plus grand et fonda une famille. Une histoire unique et banale qui tiendrait en aussi peu de mots... Une vie moderne et confortable dans laquelle on aurait conscience, de temps en temps, d’avoir de la chance.
Et puis il y eut la maladie. Des douleurs et des rêves étranges. Puis la peur et la perte de repères... Puis la sensation que quelque chose était en train de s’achever. Et, au fur et à mesure qu’elle s’enfonçait dans la maladie, la jeune femme avait l’impression étrange que deux vies étaient en train de se rejoindre. Les images devenaient de plus en plus nettes et précises... Quelque chose d’enfoui remontait progressivement en elle et tous les épisodes banals de son existence prenaient une consistance nouvelle. Comme si elle comprenait que...
Finalement, malgré les douleurs de son corps et les déchirements de ceux qu’elle aimait, elle s’endormit un soir avec, pour dernière expression, un léger sourire aux lèvres. Comme elle s’en doutait, elle se réveilla au petit matin dans une froide cellule des temps anciens et deux geôliers vinrent la chercher pour l’emmener vers son supplice. Elle ne protesta pas et les suivit sans rien dire, l’air un peu triste. Elle profita du peu de temps qui lui restait pour rassembler les souvenirs de cette étrange nuit... Un léger sourire se dessina sur ses lèvres à l’idée que quelqu’un, quelque part, l’avait peut-être entendue.
Voilà. Evidemment, personne ne pourra croire à cette histoire mais, pourtant, personne ne pourrait prouver qu’elle est fausse, n’est-ce pas ?

 

2/ Evidemment, chaque personne qui lira ou entendra cette histoire la comprendra d’une manière différente. Elle pourra y chercher des interprétations sur la vie, la mort, le temps... Pourtant, sans vraiment y penser, elle se sentira peu à peu attirée vers une image bien précise : celle du dernier sourire.
En effet, une question sur la vie, la mort ou le temps ne nécessite pas une réponse urgente et la discussion peut s’éterniser sans que cela pose de véritable problème. Mais la question du dernier sourire peut rapidement devenir obsédante. Comment est-il possible de quitter ce monde sur un sentiment de sérénité et d’apaisement ? Avec un léger sourire qui, malgré toutes les incertitudes de la vie, viendrait du plus profond de soi-même... Ce sourire marquerait l’idée que, finalement, rien n’est arrivé trop tôt ou trop tard et que tout – le pire comme le meilleur – aurait été assemblé de la bonne manière.
Dans cette petite histoire, la jeune femme meurt avec la conscience (ou l’illusion) que sa vie au XXIème siècle aura finalement été une sorte répit avant de rejoindre son véritable destin. Il n’y avait donc rien à regretter par rapport au sort qui l’attendait dans son « autre vie ». Elle a établi le sentiment (ou l’illusion) que son sacrifice avait un sens : elle n’en a parlé à personne car personne n’aurait pu la croire... Mais personne n’aurait pu lui prouver que cela était faux.

Après tout, puisqu’il n’y a pas de définition de l’espace, du temps, de la vie, de la mort, du hasard ou du destin, quelle incohérence y a-t-il à construire la sienne ? Quelques mots, quelques images pour tout replacer dans l’ordre : une théorie générale forgée dans son intime conviction, un scénario de la vie qui ne serait ni plus vrai ni plus bête qu’un autre.
De toute façon, qu’on le veuille ou non, chaque conscience écrit tôt ou tard son propre scénario. Face à la peur du vide, on cherche un réconfort et une manière de se rassurer mais le sentiment d’absurdité empêche d’en parler avec les autres : « C’est stupide, personne ne peut y croire... » Mais, si l’on imagine que chaque être humain ressent le même besoin et compose malgré lui ses propres réponses, qu’est-ce qui devient vraiment stupide ? Après tout, l’objectif n’est pas de clore définitivement les discussions sur la vie, la mort, l’espace, le temps... mais d’explorer quelques (im)possibilités nouvelles en tordant un petit peu l’univers sur lui-même. Le dernier sourire marquerait que l’on a trouvé un sens au sacrifice de la vie et que, même si personne ne peut le croire, personne ne peut prouver que cela n’existe pas.

 

3/ Evidemment, le doute... Le dernier sourire repose-t-il sur une conviction réelle ou une illusion ? Comment rester confiant, dans les moments les plus difficiles, en une idée venue seulement du plus profond de soi-même ?
En plus, cela ne correspond pas à une ambition habituelle : on ne cherche pas une explication définitive, on ne cherche pas à convaincre ou à être reconnu... Comment se prendre soi-même au sérieux ? Peut-être en se disant que l’on fait simplement comme tout le monde et que, comme d’habitude, il vaut mieux accepter et cultiver ce que l’on ne peut pas éviter... Oui, le doute peut bousculer n’importe quelle religion mais il ne remet pas en cause le besoin de trouver une réponse.
C’est aussi simple que de regarder un ciel étoilé et de trouver cela magnifique. On observe le vide, la froideur, le silence éternel des espaces infinis et pourtant notre imagination le transforme en un spectacle apaisant. Depuis les temps préhistoriques, l’être humain y cherche des animaux ou des objets familiers, il calcule sa position, il attend des messages de l’au-delà ou des présages pour l’avenir... Bref, il existe autant d’animations du ciel que de civilisations sur la Terre et, chacun à sa manière, aucun individu n’y reste indifférent.

C’est la même chose pour la lune, les vagues, les montagnes, les nuages, les pyramides, les temples grecs : l’imagination comble les vides car l’esprit humain refuse l’absence de vie et l’absence de sens. Face à l’inconnu, il y a toujours ce réflexe d’essayer de tout relier et, même si l’on refuse le côté irrationnel de ce réflexe, cette émotion ne se contrôle pas. Ne serait-ce que dans les rêves ou dans... tout ce qui met les Hommes en face de leurs angoisses.
Alors, évidemment, chacun préfèrerait trouver un sens concret aux épisodes de sa propre vie... Mais, si jamais cela ne suffisait pas, quoi de plus naturel que de tordre un petit peu les quelques supposées scientifiques de l’Univers ? Partager son destin par delà le temps et l’espace, croire aux sens cachés de l’existence, chercher une présence dans les étoiles : qui pourrait le croire mais qui pourrait prouver que cela est faux ?
Celui qui ira au bout de sa propre explication ne cherchera pas à sauver le monde mais tout simplement à croire en son dernier sourire. Comme si tout avait un sens.

C’est un espoir qui durera tant qu’il n’y aura pas d’explication mathématique des mystères de la vie et de l’Univers. Pour l’instant, quel que soit son niveau philosophique ou scientifique, l’Homme ne fait que repousser les questions... Il faut savoir en profiter car, le jour où les dernières équations auront été résolues, cela risque de... mais peut-être vaut-il mieux ne pas y penser.

 

 

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