LES ALGUES
1/ Les Hommes sont tous... Les êtres humains considèrent trop souvent la vie comme un bien personnel, un objet qui apparaîtrait avec leur naissance et qui disparaîtrait au moment de leur mort. Pourtant, avec un peu d’imagination, ils pourraient envisager bien d’autres possibilités.
Ils pourraient, par exemple, prendre un peu de hauteur et, du haut des villes, considérer ces foules de gens qui défilent les uns contre les autres comme portés par des courants invisibles. Des courants qui les soulèvent en masse pour les déposer ensuite, les uns après les autres, à leur destination individuelle... Peut-être que les graines portées par le vent pensent savoir où elles vont, peut-être même croient-elles diriger leur trajectoire alors qu’elles sont mues par une force qui les dépasse et dont elles ne savent rien... Peut-être que les algues aussi...
Car tous ceux qui ont eu l’occasion d’observer un jour les fonds marins ont été étonnés de voir à quel point un bouquet d’algues traversé par un courant ressemble à un être vivant. Alors que certains animaux alentour semblent totalement inertes, les filaments verts ou bruns, eux, donnent l’image d’une sorte de battement, d’une respiration profonde... comme une véritable énergie vitale.
La vie ou l’impression de la vie... Les Hommes sont-ils porteurs de leur propre énergie où sont-ils transportés par un flux dont ils ne comprennent pas la dimension ? La mort signifie-t-elle la fin d’une existence ou simplement le moment où le flux de la vie dépose, sans s’arrêter, une poignée d’individus au sol pendant que d’autres commencent leur voyage ?
Sur la terre, les êtres vivants brassent de l’air. Dans l’océan, c’est l’eau qui brasse la vie. Sur la terre, la plupart des êtres vivants résistent aux vents. Dans la mer, la plupart des êtres vivants se laissent soulever par les courants.
Les algues ne se déplacent pas, certes. Pourtant, elles s’étirent et s’allongent depuis leur rocher d’origine : elles sont portées par le besoin de croître et d’aller le plus loin possible. Au milieu des autres plantes aquatiques, elles puisent de plus en plus loin la lumière dont elles ont besoin mais sans jamais rompre les racines qui les relient à la roche. Et rompre les racines signifierait bel et bien la mort. Cette fois, les courants cesseraient de les agiter pour les emporter loin de leur pied d’origine et les disperser dans les immensités sous-marines.
Oui, les algues grandissent en ayant peur de casser leurs racines et d’être projetées dans des espaces qui leur semblent infinis... La volonté de grandir / l’attachement aux racines / la peur de l’infini : en fait, les Hommes sont-ils si différents des algues ?